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L’empathie esthétique, autrement dit l’amour de l’art, répond à des mécanismes neurologiques. En cette période de confinement, malgré les mesures qui font barrière à l’expérience de l’œuvre, Pierre Lemarquis explique pourquoi et comment le cerveau doit continuer à recevoir son content de musique et d’œuvres.
En tant que neurologue, particulièrement intéressé par le lien entre le cerveau et la musique, quelle ordonnance artistique prescrivez-vous dans une période de confinement qui exige de revoir ses habitudes et qui peut menacer notre équilibre ?
Pierre Lemarquis : « Don’t stop me now », du groupe Queen, présenterait les caractéristiques idéales, d’un point de vue scientifique : tempo rapide, à 150, et paroles lénifiantes, en majeur. Mais on peut, avec le même bénéfice neurologique, choisir d’écouter les Beatles et Mozart.
On trouvera également réconfort et sécurité en admirant les œuvres de Vinci, Michel-Ange Van Gogh et tant d’autres. Ou en regardant la filmographie de Paolo Sorrentino, du film « la Grande Belleza » ou la série « the New Pope » qui mêlent avec talent esthétisme et comédie.
Les musées sont fermés, tout comme les cinémas et les salles de concert. Qu’est-ce qui nous manquerait à vivre sans musique et sans art ?
Pierre Lemarquis : La recherche scientifique confirme l’intuition de Nietzsche, lorsqu’il affirme que "sans la musique la vie serait une erreur". Notre cerveau est double, avec une partie dédiée à Apollon et l’autre, à Dionysos.
La première, qui pourrait à la limite être remplacée par un ordinateur, nous aide à rester en vie en fonction des informations reçues et des souvenirs acquis.
L'autre partie, non moins essentielle, nous donne tout simplement envie de vivre. Ce cerveau du plaisir et de la récompense réclame d’être caressé —c’est la fonction de la musique et, plus généralement, de l'art.
Quelles sont les mécaniques neurologiques à l’œuvre, lorsque nous sommes confrontés à la musique ?
Pierre Lemarquis : Le lobe temporal, tout d’abord, décrypte les sons, puis aussitôt, c’est la partie antérieure du cerveau qui entre en jeu. La fonction de ce lobe dit frontal est d'agir sur le monde, en fonction des informations recueillies. Il est aussi responsable de la mémoire à court terme, essentielle pour la réception de la musique.
Pour ressentir du plaisir en écoutant de la musique, il faut se souvenir de la musique entendue et ainsi anticiper sur la suite du morceau. Si l’accord prévu survient, le cerveau produit une sensation de sécurité —avec toutefois un risque d’ennui à la longue.
A l’inverse, un accord imprévu éveille et stimule mais répété peut produire du stress. Les berceuses maternelles ou les chansons avec refrain/ couplets peuvent ainsi s’analyser par des cycles tension / résolution ou répétition / différence qui sont universels.
Selon vous, même si vous ne bougez pas, « votre cerveau chante et danse sur la musique entendue ». Que voulez-vous dire ?
Pierre Lemarquis : Le cerveau humain a une spécificité que l’on n’observe chez aucun autre être vivant : la musique met en route des circuits moteurs, nous sommes faits pour chanter et danser (en général).
Si les mouvements sont impossibles —pas question de se dandiner à Pleyel ou à l’Opéra— ou encore lorsque l’on se contente d’imaginer une musique en silence, des neurones parfois appelés « miroirs » s’activent et c’est notre cerveau qui chante et danse ! Et ce, sans traduction externe notable, si ce n’est par exemple le chantonnement incoercible de Glenn Gould au piano...
Ces neurones sont connectés aux circuits du plaisir et de la récompense qui sécrètent de la dopamine, neuromédiateur impliqué dans la joie de vivre et les mouvements, de la sérotonine anti-dépressive, des endorphines réduisant la douleur et à effet euphorisant de la morphine, de l’ocytocine impliquée dans l'attachement....
L’adrénaline tonifiante se trouve aussi augmentée par de la musique vive, forte et rapide, et diminuée si la musique douce. Ce système permet l’empathie esthétique, le ressenti de l’intérieur, l’incarnation de la musique (ou d’une œuvre d’art) dans notre cerveau.
Observez-vous les mêmes effets avec un tableau, un dessin, une sculpture ou une photo, dans un musée ou sur le mur de son salon ?
Pierre Lemarquis : Avec les arts visuels, l’activation initiale concerne la zone postérieure du cerveau (lobe occipital), qui décrypte les informations visuelles (forme, couleurs...). Ensuite, une zone proche qui détecte les informations "biologiques" s’active lorsqu’il s’agit d’art figuratif : dans le cas de la Joconde, notre cerveau réagit comme si nous rencontrions de Mona Lisa en chair et en os.
Pour l'art non figuratif, notre cerveau reproduit les gestes de l'artiste, les coups de cutter dans une toile de Fontana, par exemple. A mesure que nous revoyons une même œuvre, le phénomène évolue : accrochée sur le mur de notre salon, l’objet se charge d’une dimension d’intimité — après le coup de foudre initial c’est l’attachement qui s’installe et vous devenez un peu l’œuvre avec laquelle vous vivez, qui vous transforme à son image (et vice-versa).
Le contact par écran interposé —ou dans le cas de la musique, via une enceinte ou un casque— est-il semblable, dans son effet, au contact direct ?
Pierre Lemarquis : En art, comme dans une relation humaine, beaucoup de messages peuvent être décodés sans nécessairement parvenir à la conscience. Ce qui circule entre vous et l'œuvre, voilà l’essentiel et cela constitue l'essence même de la vie. Dans cette période de confinement tout particulièrement, on aimerait que cet « entre » soit préservé par les écrans, mais ce n’est malheureusement pas le cas ! Le cerveau reçoit bien les informations, mais de manière atténuée comme dans une communication à distance (ou en cas de distanciation sociale !). Il faut alors compter sur votre imagination et vos souvenirs pour que de nouvelles histoires amoureuses éclosent, pour qu’un nouveau Décaméron surgisse du confinement, comme pendant la peste noire à Florence vers 1350.
A lire : L'empathie esthétique (2015),
Portrait du cerveau en artiste (2014),
Sérénade pour un cerveau musicien (2013).
Directeur de la communication et de la RSE au Palais de Tokyo
«Le Palais de Tokyo est une institution qui donne la parole aux artistes en les exposant»
Dès son arrivée en 2020 à la direction de la communication du Palais de Tokyo, Mathieu Boncour a élargi son périmètre d’action à la Responsabilité Sociétale des entreprises (RSE).
Sans langue de bois, il explique en quoi ce choix constitue un axe clef de la communication de l’institution, le travail accompli mais aussi les difficultés pour faire la pédagogie des actions concrètes accomplies au quotidien.
Quels étaient les principaux challenges en termes de communication à relever à votre arrivée au Palais de Tokyo, notamment dans le contexte de la réouverture après le premier confinement ?
Mathieu Boncour : Mon premier défi était assez évident. Je suis arrivé le 15 juin 2020. C'était le jour de la réouverture du Palais de Tokyo après le premier confinement.
Lire la suite >>>Fondateur de Communic'Art
Restitution des œuvres d’art : « Il est urgent de réinventer une nouvelle forme de gouvernance culturelle »
Pour une gouvernance mondiale des œuvres d’art et dépasser le dilemme des restitutions, il est urgent de réinventer une nouvelle forme de gouvernance culturelle.
Le débat sur la restitution des œuvres d’art, cristallisé par le rapport Sarr-Savoy en 2018, reste marqué par des positions extrêmes : d’un côté, la revendication de restitutions massives au nom des spoliations coloniales ; de l’autre, la défense rigide des collections occidentales comme trésors universels.
Face à cette impasse, il est urgent de réinventer une nouvelle forme de gouvernance culturelle, fondée sur le partage et la coopération internationale.
Lire la suite >>>Directeur de l’ENSBA
"Les diplômés des beaux-arts sont utiles hors du champ de l’art… y compris dans les entreprises."
Pour renforcer l’attractivité de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts à Paris, le nouveau directeur encourage les enseignements non artistiques. Avec la participation financière d’entreprises privées, il a également intégré de nouveaux modules de formation centrés sur les questions de société les plus brulantes.
Après une succession de crises, l’Ecole Nationale des Beaux-Arts vit un certain calme. Comment mesurez-vous l’amélioration de l’image de l’école, auprès des étudiants et futurs étudiants ?
Jean de Loisy : Les étudiants, les enseignements et la pratique de l’atelier sont la priorité absolue de l’école. Il n’est plus un seul espace qui ne soit à leur disposition, y compris le musée et le centre d’art.
Lire la suite >>>Olfactive profiler
"Personnalité, identité... Le parfum communique des émotions"
Cette passionnée de parfum, qui a collaboré avec les plus grandes marques, présente à Paris chez PHILLIPS, le projet PROFILE BY : six œuvres olfactives créées par six artistes bien connus des collectionneurs, Adel Abdessemed, Daniel Firman, Ori Gersht, Hubert Le Gall, Pablo Reinoso et Joana Vasconcelos.
Diane Thalheimer-Krief analyse ici l’intérêt croissant pour l’odorat, un sens négligé dans la culture occidentale rationaliste.
Tout au long de votre parcours, vous avez marié parfum et communication. Quel lien faites-vous entre ces deux univers ?
Diane Thalheimer-Krief : Le parfum coule dans mes veines, une passion depuis mon adolescence… Au-delà de la chimie, j’y trouve une magie. « Styles de femmes, styles de parfums » a été mon sujet de fin d’études au CELSA.
Lire la suite >>>Par Véronique Richebois
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Par FRANÇOIS BLANC
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