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Harry Bellet journaliste art au Monde “Attaché de presse… c’est un métier ingrat”
Arts | Médias
Daniel Bernard | 24.07.2018 | 15:25

Harry Bellet, Journaliste art au Monde


Daniel Bernard
Journaliste
Biographie >>>

Journaliste art au Monde, Harry Bellet décrit d’une plume ironique et tendre le milieu de l’art contemporain. Il nous livre içi son expérience des rapports entre journaliste et communicants. Instructif autant qu’avisé.

Pour Art 360 by Communic’Art, le journaliste et écrivain explique comment la presse en général et le Monde en particulier tentent de rendre compte de la mondialisation du marché, en faisant bon usage des ressources de la communication.

A la différence de beaucoup de journalistes, vous n’affichez pas de mépris pour les gens de communication. Pourquoi cette mansuétude ?

Harry Bellet : D’abord parce que c’est un métier ingrat, il faut avoir vécu un voyage de presse pour s’en rendre compte. Balader des touristes, ce n’est pas drôle, des touristes français encore moins, et si c’est à l’étranger, on frise le calvaire.

Quand en plus ces touristes sont journalistes, l’attaché(e) de presse peut croire être en enfer. Encore, à ce stade, peut-il ou peut-elle se féliciter d’avoir réussi à les faire venir. Parce que pour nous joindre…

A mes débuts, jeune historien d’art, pour compléter mon petit mi-temps au Centre Georges-Pompidou, je rédigeais des catalogues, j’écrivais des articles de revue et je donnais aussi des cours à l’Atelier de Sèvres et à l’Icart. 

Dans cette dernière école, j’enseignais la communication, mais comme je ne savais pas trop ce que c’était, j’inventais des exercices ! L’un d’eux consistait me joindre au téléphone, alors que j’étais sur liste rouge.

Pour un autre, j’apportais mon courrier du jour, qui était volumineux, et je leur disais : tout ça va partir à la corbeille sans être ouvert, donnez-moi envie d’aller voir votre expo ! Joindre un journaliste et le toucher : l’enjeu est le même qu’il y a vingt ans et, d’une façon générale, mes interlocuteurs sont de bons professionnels.

Mais il y a un autre aspect du métier de communicant qu’un journaliste ne doit pas négliger : ils peuvent réellement nous faciliter la vie. Quand j’ai besoin, moi, de joindre une vedette, mon premier réflexe, c’est d’appeler l’attaché(e) de presse… 

Ne nous dites pas que vous ouvrez votre courrier et lisez chaque mel...

HB : Vous m’interrogez alors que je viens d’envoyer à la bibliothèque 3 m3 de livres qui n’auraient jamais dû me parvenir, parce que leurs sujets ne me concernent pas...

Mais quand une agence de presse m’adresse un courriel pour me demander si je souhaite recevoir tel catalogue ou monographie, au journal ou à mon domicile, je réponds systématiquement ! Et si, par principe, je ne réponds jamais au téléphone, sauf à mes proches et à quelques rares personnes identifiées (ou alors quand je n’ai vraiment rien à faire, ce qui n’est pas fréquent), je lis tous mes SMS, ainsi que les courriels quand ils viennent d’expéditeurs que je connais ou quand les premières lignes montrent qu’il n’a pas été envoyé sur la base d’un vieux fichier.

Alors, quand parfois j’entends une petite voix qui me demande «avez-vous reçu notre dossier de presse ? Est-ce que vous allez faire un article ?», je compatis – avant de raccrocher – sans monter sur les grands chevaux du grand (et gros) journaliste d’un grand journal.

En fait, je conseille juste de lire le journal avant, comprendre qui y fait quoi, car connaître le support qu’on sollicite, c’est la base de ce dur métier. Ceci étant, pour être honnête, il m’arrive aussi d’être plus grinçant, par exemple quand un représentant du ministère de la culture, et c’est advenu récemment, ignore l’existence de la fondation Maeght...

Et vous, que lisez-vous pour vous informer ?

HB : En deux heures et cinq cafés, chaque matin, je lis les infos du monde entier, via le web, dans la presse française et anglo-saxonne, sur quelques blogs spécialisés et je consulte mon compte instagram.

Quand on joue au casino, il faut pouvoir allonger autant de pognon que la banque ; c’est pareil dans les relations entre le journaliste et la com’. Pour ne pas se faire déborder par la communication, un journaliste doit en savoir plus long que les communicants et, dans la mesure du possible, bénéficier d’une indépendance financière, ce qui est le cas au Monde où nos frais sont remboursés.

Vous avez été embauché au Monde pour suivre le marché de l’art à une époque où ne s’étaient pas encore révélés les mastodontes tentaculaires aujourd’hui dominants. Pouvez-vous encore exercer avec la même liberté ?

HB : Quand Edwy Plenel m’a proposé cette rubrique, en 1993, c’est parce que personne n’en voulait. Ce n’était pas à la mode, et même un peu suspect. Un critique d’art pur, noble et éthéré m’avait même gentiment qualifié de « Jean-Pierre Pernault de l’art contemporain », et je ne suis pas certain que ce soit flatteur pour Pernault !

Cela n’intéressait personne : même en 1998, lorsque François Pinault a racheté Christie’s, j’ai reçu un coup de fil du service économie me demandant si ça valait un article... J’ai foncé chez eux et on a fait deux pages dans la nuit !

Je me souviens aussi du premier grand voyage de presse organisé par la foire Art Basel à Miami en 2002 : après une annulation due au 11-Septembre, les organisateurs ont sorti le chéquier pour être certains d’avoir les journalistes spécialisés, parce que la destination était alors improbable et que les gens avaient peur de prendre l’avion.

Et même des journaux comme le mien hésitaient pour une raison simple : elle se tient au mois de décembre et généralement les budgets voyages, même ceux des grands journaux, sont alors épuisés. Et, immédiatement, ne me demandez pas pourquoi, la tradition s’est installée...

Depuis, le marché s’est mondialisé, mobilisant des enjeux financiers qui n’ont qu’un rapport lointain avec l’amour de l’art et rendent impossible, même à un journaliste pourvu de gros moyens, d’avoir une vision complète de l’actualité : on ne peut simplement pas aller partout. Mais fondamentalement, le métier de journaliste reste le même : faire le tri et décrypter.

Au Monde, pour protéger notre liberté face aux moyens de communication, nous suivons toujours la règle d’Hubert Beuve-Méry auquel des journalistes avaient demandé s’ils avaient le droit de se laisser inviter à déjeuner. Il aurait répondu: « mangez, mangez, mais crachez dans la soupe ». 

On peut aller à Venise invités par un musée pour une expo et décider à la visite qu’elle n’en vaut pas la peine, la démolir ou ne rien écrire du tout, et même profiter du voyage pour écrire sur une autre au musée d’à côté. Mettez vous à la place du communicant chargé d’expliquer ça à son client… Plus récemment, nous avons décidé, lorsque nous sommes invités, de le préciser aux lecteurs. 

Quelles types de relations refusez-vous ?

HB : Les relations sexuelles, mais à mon âge, le risque s’éloigne ! Plus sérieusement, j’ouvre toutes les lettres manuscrites, mais pas celles où des pleins et des déliés annoncent un cadeau – la règle déontologique interne au Monde impose de renvoyer tous ceux estimés à plus de 70 euros – ou un diner payé par une généreuse marque de luxe ! En revanche, nous acceptons les voyages de presse dès lors qu’ils sont offerts par un musée, un centre d’art ou une puissance publique, et non par une maison de vente, ou une galerie.

Mais les invitations, ce n’est pas le plus dérangeant : au fil du temps, j’ai appris à me méfier davantage des «bons tuyaux» qui peuvent passer par un collègue du service politique ou économie, un vieux copain perdu de vue depuis dix ans ou même par... mon épouse. 

C’est lorsque l’on essaye de nous faire gober des informations de manière détournée que les problèmes commencent ! Depuis qu’une grande partie de l’actualité du marché de l’art se fait moins dans les musées que dans les tribunaux et les services fiscaux, j’exige une traçabilité absolue de l’information. C’est fondamental, dans le journalisme comme dans l’histoire ou l’histoire de l’art : on commence toujours un travail par l’analyse critique des sources.

Comment font les confrères qui travaillent dans des journaux plus fragiles que le Monde ?

HB : Une information n’est jamais gratuite. Quand tu ne la payes pas, tu la dois à quelqu’un d’autre. C’est d’autant plus délicat quand cette source fournit par ailleurs 40% de tes ressources publicitaires.

Quand des annonceurs de l’importance de Jean-Marie Messier (autrefois) ou LVMH décident de couper le robinet pour punir un journal d’un papier qui les défrise, mieux vaut avoir quelques poires pour la soif.

Que conseillez-vous à un jeune artiste pour vous convaincre de le découvrir ?

HB : D’abord de se souvenir des statistiques : il y a je crois plus de 35 000 artistes inscrits à la sécu en France. Pas de sécu aux Etats-Unis, mais des sociologues estiment à 180 000 le nombre d’artistes actifs rien qu’à New York. Alors je ne verrai jamais tous les ateliers. 

Mais je ne déteste pas la controverse. Quand un courriel m’interpelle sur l’un de mes papiers et m’invite à voir les choses autrement, je suis incapable de résister à ma propre curiosité. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi très bien : quand un artiste que j’estime me conseille de regarder le boulot d’un de ses confrères, je l’écoute.

J’observe aussi que des jeunes artistes savent utiliser les réseaux sociaux pour toucher de plus jeunes reporters. C’est loin d’être inutile parce que les journalistes de mon genre sont plus prêts de la retraite que de leur première carte de presse. Et puis, si le Monde est un grand journal, il n’y a pas que lui. Il y a 25 ans, l’ancien directeur de la foire de Bâle Lorenzo Rudolf m’avait dit : «le Monde, c’est bien, mais ce que je vise, c’est Cosmo, parce que nos clients sont là !». 

La suite a prouvé qu’il avait raison : quand les maisons de luxe sont entrées dans le circuit, cela a bouleversé toute la sociologie de ce petit monde. Cela dit, je ne sais pas combien de temps durera la domination de la mode sur l’art, mais je constate que de nombreux artistes refusent d’y céder.

Et je suis encore assez lucide, à 58 ans, pour observer qu’un artiste qui sait parler le langage de l’époque n’a pas besoin de moyens onéreux, ni même de chercher à joindre Harry Bellet, pour accéder à la notoriété : regardez Banksy !

À lire, "Giacometti et Bacon, tout en tension et en intensité", de Harry Bellet, Le Monde, 11 juillet 2018.

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