Bien avant la crise du coronavirus, le compte Instagram @jerrygogosian s’était imposé comme une Pythie du monde de l’art contemporain.
Accumulant les mèmes, des images banales assorties de commentaires méchamment ironiques, celle qui se présente comme une ex-galeriste de Los Angeles cultive une dérision qui lui assure une audience de 68 000 followers. Elle lui permet d’échanger avec les puissances de la place, dont elle podcast les interviews.
De son ton acéré, elle relève que la pandémie aura seulement poussé chacun dans sa pente. Elle ne s’attend à aucune sérieuse remise en cause, ni des méga-galeries, ni du système des foires.
Un sarcasme qui pousse la profession à abandonner les communications stéréotypées pour en revenir à l’essentiel : la transmission des œuvres d’art.
Avec votre sens de l’humour très particulier, comment décrivez-vous la période ?
Jerry Gogosian : Ce qui fait mon bonheur en ce moment, c’est d’observer les principales galeries, maisons de vente aux enchères et institutions qui n’ont AUCUNE IDÉE de ce qu'ils doivent faire et se montrent sur les réseaux sociaux, jetant des pâtes au mur pour voir ce qui reste collé.
C'est tellement bizarre, voire stupéfiant, de voir des institutions ultra-sérieuses s’essayer à l'humour ! "Salut les gars, ma musique préférée c’est le rock ! ». C’est la plupart du temps désinvolte, irrespectueux ou improvisé, parfois au taquet d'ailleurs, mais ça parait toujours tellement forcé que ça me fout les boules, un peu comme quand tu vois tes parents se rouler une pelle.
Selon vous, la pandémie est-elle propice à l’introspection et à l’autodérision ?
Jerry Gogosian : J’avoue que je pense encore plus à moi en ce moment, ce qui est un exploit car je suis déjà par nature super égocentrique. Certains jours, je pense que je devrais m'éloigner de l'art et aller me cacher dans une petite ville pour y refaire ma propre définition de ce qu'est l'art. Pour être honnête, je pense que j’ai laissé l'argent parasiter en moi un recoin sacré qui était la valeur que j’accordais à l’art.
J'ai toujours plaisanté à ce sujet, mais après examen, j'ai réalisé que je perdais la foi et que j'avais permis à un paquet de dollars de me dicter mes sentiments sur l'art. Je commençais à tolérer le panurgisme et quelques autres mauvais comportements, au nom de l’ART !
J'ai dû être remise en place par des gens plus intelligents et plus sensibles que moi. Parmi ces gens, je veux citer Sarah Hoover de chez Gagosian et le critique d’art Jerry Saltz, qui m'ont sauvé la vie cette semaine.
J'ai enregistré un podcast aujourd'hui, disponible en lien à partir de ma bio Instagram, franchement humiliant : Jerry Saltz m'a demandé « De quoi as-tu peur ? » Je lui ai dit « j'ai peur d’être brisée. » Et il a dit: « Tu es brisée. Donc qu'est ce que tu vas faire ? » Ça fait réfléchir. Un sacré défi…
Conseilleriez-vous ce registre de l’auto-dérision à un méga-galeriste que vous connaissez bien, Larry Gagosian ?
Jerry Gogosian : Vous voulez parler de mon « père » ? Mon « père » est un mâle alpha traditionnel, pas vraiment réputé pour son humour. Il fait de l'argent et c'est un homme de peu de mots, mais la comédie n’est pas son truc. Vu de ses hauteurs, il n'y a jamais rien de très risible.
À ce niveau, vous ne pouvez pas donner l’impression de douter, sinon tout le marché commencerait à turbuler grave.
Mon « père » sauvegarde les apparences parce qu’un paquet de gens riches attendent de lui qu’il sache leur garantir la valeur élevée de leurs collections. Autrement dit : l'humour, c’est pour les pauvres tandis que les riches prennent leur l'argent à la banque, comme toujours.
Pensez-vous qu’il soit opportun d’utiliser l’humour pour traverser cette crise… Est-il difficile d’être drôle quand les gens meurent ou perdent leur emploi ?
Jerry Gogosian : La tragédie est l’autre face de la comédie, alors oui, je continue à rire. On connaît cependant la formule « la comédie, c’est la tragédie plus du temps » et parfois je suis trop proche de tout ça pour rire, alors je pleure souvent. Comme on pouvait s’y attendre, la réponse du monde de l’art à la crise est assez drôle parce qu’à côté de la plaque.
« viewing room » en ligne. PFF
Visites de musées virtuelles. Pffffff.
Dons minuscules à des organisations en dehors du monde de l'art.
Ventes flash : d’après mes sources, les gens pètent les valeurs sûres en proposant des rabais scandaleux en raison de la panique. Ça, mon gars, c’est pas bon.
Se rallier au plus petit dénominateur commun : par exemple, l'Instagram d'Art Basel il y a quelques semaines affichait «P.S. Je t'aime » en néon, au moment même où la pandémie commençait. Comme si tu avais besoin d'une foire d'art qui te dise "accordez moi votre attention et pensez à moi" alors que tu traverses un des plus sombres moments de ta vie. Allo, quoi ! LOL. Le timing était misérable, limite effroyable.
Solidarité feinte : les principaux musées et institutions publient des mèmes internet et donne les gants des régisseurs d’art juste après les avoir flanqués à la porte.
Des remises inappropriées sont proposées par des directeurs commerciaux inquiets et on soupçonne encore d’autres manipulations du marché.
Beaucoup de conférences sérieuses et condescendantes sur les médias sociaux sur la façon dont nous devons traiter l'environnement, réalisées par des clients importants de NetJet. Vous m’avez compris, il y a de quoi s’amuser en ce moment. Vous ne croyez pas ?
Croyez-vous que le monde de l’art soit prêt à revoir son modèle ?
Jerry Gogosian : J’aimerais être optimiste sur la relation du capitalisme avec l’art, mais mon intuition, c’est que le monde de l’art va devenir beaucoup plus intense et encore plus agressif pour les gens qui étaient attachés aux schémas classiques. Il y aura des gens qui se briseront ou chuteront —ce sont sur eux que je fonde le plus d’espoir.
Ils auront l’opportunité de reconstruire autant qu'ils le souhaitent… Il y a tellement de liberté dans quelque chose qui meurt, se termine, se brise, s'évapore... Tu peux te reconstruire et faire le chemin vers quelque chose qui te correspond. Les gens se plaignent de l'incertitude actuelle, mais rien ne fonctionnait non plus il y a deux mois.
Nous ne devons pas travailler à remettre les choses à leur ancienne place. Il fallait que ça pète. J’apprécie ce genre de réinitialisation quand elles se produisent dans ma vie personnelle et quand ces « resets » s’imposent dans un contexte sociétal plus large.
Nous sommes au début de quelque chose de nouveau. La perspective de faire partie de l'avenir me stimule et me rend confiante.
Dernière question : est-ce que dans cette période, l’art contemporain est nécessaire pour comprendre le monde ?
Jerry Gogosian : La vie serait horrible sans art. La vie sans art serait comme un repas sans saveur ou une partie de jambes en l’air sans orgasme. Une journée sans intempéries, une année sans le cycle des saisons, quel en serait le sens ?
L’art rythme le temps et nous donne un espace pour penser et ressentir. C'est la baguette magique qui fait voir la vie en grand. Votre question, en fait, n’a même pas de sens.
A moins que vous fassiez référence aux trophées, à ce genre d’œuvres patentées dont nous aurions besoin pour affirmer que nous avons un goût très sûr… Mais là, c’est à chacun de savoir comment il veut prendre son pied ! La vanité sera difficile à éradiquer, même le COVID-19 n’y parviendra pas.
Ceci étant, si vous ne disposez pas d’un Picasso à accrocher sur le mur de votre salon, j'ai une idée excitante pour vous. Considérez chaque objet de votre maison comme un authentique objet d'art et revoyez de fond en comble la déco de votre intérieur.
Créez une exposition entière et offrez à vos amis une visite privée via Zoom. Re-contextualisez votre vie entière avec l'art au centre, juste pour vous marrer. Mieux encore, laissez vos enfants curater toute une pièce ou tout un mur avec vos chers objets. Vous pourriez apprendre quelque chose sur vous-même, ce qui serait une manière astucieuse de tirer profit de la quarantaine !
Instagram : @jerrygogosian
Avec sa mini-série « Merci de ne pas toucher », Arte sexualise les chefs d’œuvres de la peinture classique. Auteure et animatrice de ces programmes courts, la trentenaire Hortense Belhôte éveille le désir de Michel-Ange, Manet et Courbet pour faire avancer la cause des femmes, les droits des homosexuels et la connaissance des arts.
Un discours académique contrastant avec des images évoquant le sexe et l’homosexualité version queer, dans un format court, comment vous est venue l’idée de cette forme nouvelle pour un cours d’histoire de l’art ?
Hortense Belhôte : L’idée de la série est venue de mon parcours : j’ai étudié l’histoire de l’art à l’université en même temps que l’art dramatique dans un conservatoire, puis j’ai mené en parallèle une activité de prof et une activité de comédienne.
Lire la suite >>>Conseil de nombre d’institutions publiques et acteurs du marché de l’art, le fondateur de l’agence Communic’Art explique les ressorts de la communication de crise dans le contexte de l’affaire Lévêque.
Interview parue dans le Journal des Arts n° 560 du 05.02.21
Propos recueillis par Jean-Christophe Castelain
http://www.lejournaldesarts.fr
Quelle est la situation des institutions à l’égard des œuvres de Claude Lévêque qu’elles possèdent ou montrent ?
Sitôt parues les révélations du Monde, plusieurs journalistes se sont tournés vers les institutions qui détiennent des œuvres de Claude Lévêque en posant la question : qu’en est-il du devenir de ces œuvres ?
Lire la suite >>>Paul-Emmanuel Reiffers, Président-Fondateur du groupe de communication Mazarine, annonce la création de Reiffers Art Initiatives, fonds de dotation pour le soutien à la jeune création contemporaine et la diversité culturelle.
Une trentaine d’artistes par an seront accompagnés afin de promouvoir à l’international la nouvelle scène artistique française.
Ce fonds, qui bénéficiera d’un soutien financier de 500 000 euros par an, initiera plusieurs actions pour financer, exposer et donner de la visibilité aux figures émergentes de l’art contemporain de demain.
Vous annoncez le lancement d’un fonds de dotation en soutien à la jeune création contemporaine et la diversité artistique. Dans votre parcours d’homme de communication et de collectionneur, comment avez-vous été confronté à cette urgence ? ...
Lire la suite >>>Critique d’art, commissaire d’exposition, spécialiste en art contemporain, Numa Hambursin prendra ses fonctions à la tête du MO.CO. cet été. Il est attaché à promouvoir une culture de l’art contemporain exigeante et populaire. Il détaille sa vision d’une institution originale et sa mission de faire rayonner l’art contemporain dans Montpellier d’abord, et très au-delà…
À quelques semaines de votre prise de fonction, comment abordez-vous l’animation combinée d’une école des beaux-arts, d’un centre d’art et d’un lieu d’exposition, les trois entités du MO.CO. à Montpellier ?
Numa Hambursin : Mon mandat débute le 1er juillet, mais je suis déjà au travail. Le MO.CO. est une jeune institution, fragilisée par la pandémie, comme toutes les institutions culturelles.
Lire la suite >>>Par FRANÇOIS BLANC
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Par RAPHAËL TURCAT
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